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Non-renvoi QPC des dispositions relatives au décalage d’un an de l’entrée en vigueur du prélèvement à la source

Civil - Fiscalité des particuliers
16/03/2020

Il n’y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel les dispositions du E du II de l’article 60 de la loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016, de finances pour 2017.

Telle est la solution retenue par le Conseil d’Etat dans un arrêt du 5 mars 2020 (CE 9° et 10° ch.-r., 5 mars 2020, n° 436723, mentionné aux tables du recueil Lebon).

En l’espèce, la requérante soutient que les dispositions du E du II de l'article 60 de la loi du 29 décembre 2016, de finances pour 2017, méconnaissent les principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques, en ce que, d'une part, les titulaires de bénéfices non commerciaux sont placés dans une situation moins favorable que les salariés pour l'appréciation du caractère exceptionnels ou non du bénéfice réalisé en 2018 et, d'autre part, les titulaires de tels bénéfices maintenus à un niveau constant de 2015 à 2019 n'ont pas à justifier du caractère non exceptionnel par nature de leurs revenus à la différence de ceux dont les revenus augmentent en 2018.

Pour rappel, l'article 60 de la loi du 29 décembre 2016 de finances pour 2017, modifié par l'ordonnance du 22 septembre 2017, relative au décalage d'un an de l'entrée en vigueur du prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu, instaure, à compter des revenus de l'année 2018 et pour ceux qui entrent dans son champ d'application, le prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu. Ce prélèvement est opéré, pour les revenus salariaux et les revenus de remplacement, par l'employeur ou l'organisme versant. Pour les autres revenus, en particulier ceux correspondant à des bénéfices professionnels, ce prélèvement prend la forme du versement d'acomptes.

Dans le détail, les dispositions du paragraphe I de l'article 60 déterminent les modalités de ce prélèvement. Les dispositions de son paragraphe II fixent les modalités de la transition entre les règles antérieures de paiement de l'impôt sur le revenu et le prélèvement à la source, afin que les contribuables ne paient pas, en 2019, l'impôt sur le revenu dû à la fois sur les revenus de l'année 2018 et sur ceux de l'année 2019, en instituant un crédit d'impôt dit de modernisation du recouvrement ayant pour objet d'effacer le montant de l'impôt dû au titre de 2018 correspondant aux revenus non exceptionnels de cette année.

Pour tenir compte de la possibilité qu'ont les travailleurs indépendants de procéder à des arbitrages sur les recettes et les charges servant à la détermination de leur bénéfice et ainsi maximiser leur bénéfice en 2018, le caractère non exceptionnel du bénéfice de 2018 est apprécié sur une période pluriannuelle.

  • Ainsi, si un contribuable imposé à l'impôt sur le revenu dans la catégories des bénéfices industriels et commerciaux, des bénéfices agricoles ou des bénéfices non commerciaux réalise, au titre de l'année 2018, un bénéfice supérieur au plus élevé des montants de ses bénéfices de 2015, 2016 ou 2017, le crédit d'impôt de modernisation du recouvrement dont il peut bénéficier est plafonné au niveau du montant le plus élevé de ces trois années, la différence étant réputée constituer un revenu exceptionnel.
  • Si son bénéfice au titre de 2019 est plus élevé que celui de 2018, le bénéfice de 2018 est réputé ne plus être exceptionnel de sorte qu'il est octroyé de plein droit au contribuable un crédit d'impôt complémentaire effaçant l'intégralité de l'impôt qu'il a acquitté au titre de 2018 sur ce bénéfice.
  • Si son bénéfice de 2019 est inférieur à son bénéfice de 2018 mais supérieur au plus élevé des bénéfices réalisés en 2015, 2016 et 2017, il lui est également octroyé de plein droit un crédit d'impôt complémentaire, limité à la différence entre le bénéfice le plus élevé des trois années de référence et le bénéfice réalisé en 2019.

Le crédit de modernisation du recouvrement tend à éliminer l'impôt dû sur les revenus non exceptionnels de 2018. En se fondant sur la comparaison du bénéfice net de quatre années de référence et non sur le chiffre d'affaires pour déterminer le caractère exceptionnel des revenus de 2018, le législateur s'est fondé sur un critère objectif et rationnel en rapport avec l'objet de la loi. Si la requérante soutient que les modalités de détermination du bénéfice net soumis à l'impôt ne tiennent pas compte des particularités de certaines charges, en particulier les charges sociales qui sont calculées sur la base des revenus de l'année antérieure à celle de l'année de déduction, à la différence de celles des salariés, les travailleurs indépendants ne se trouvent pas, pour la détermination du montant de ce crédit d'impôt, dans une situation identique à celle des salariés qui ne peuvent pas arbitrer en faveur d'un niveau de revenu plus élevé en 2018.

L'appréciation du caractère exceptionnel ou non des bénéfices non commerciaux réalisés en 2018 pour la détermination du montant du crédit d'impôt de modernisation du recouvrement s'effectue en trois temps, d'abord par rapport aux bénéfices des années 2015 à 2017, puis par rapport au bénéfice réalisé en 2019, et enfin avec la possibilité de solliciter un complément de crédit d'impôt lorsque le crédit d'impôt complémentaire calculé après l'année 2019 n'a pas permis d'éliminer la totalité de l'impôt dû au titre de 2018. Si ces dispositions sont moins favorables pour un travailleur indépendant ayant des revenus croissants sur toute la période de référence que pour celui ayant des revenus constants sur cette même période, cette différence de traitement, qui vise à prévenir un arbitrage en faveur d'une maximisation du bénéfice net de 2018 pour l'octroi du crédit d'impôt, est fondée sur des critères objectifs et rationnels en fonction du but poursuivi. La possibilité d'obtenir un complément de crédit d'impôt effaçant tout impôt sur le bénéfice de 2018 si le contribuable établit l'existence d'un surcroît d'activité permet en toute hypothèse de démontrer le caractère non exceptionnel du bénéfice non commercial de 2018, même s'il est apprécié rétrospectivement.

Ainsi, les moyens tirés de ce que les dispositions contestées méconnaissent les principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques, qui ne sont pas nouveaux, ne peuvent être regardés comme soulevant une question sérieuse. Il n'y a donc pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée.

 

Source : Actualités du droit